2017, ANNÉE BLACK «EMPOWERMENT»
Cette année nous aura offerte bien des occasions d’être optimistes en nos destins grâce à certaines victoires obtenues par la force, brillance et résilience de notre communauté mais ces victoires restent ombragées par des situations toujours aussi préoccupantes.
Par Johan Amaranthe
Lancée sur des chapeaux de roues par la sensationnelle expérience que le film Moonlight, dont nous en parlions plutôt dans l’année, nous a offert.
Déjà considéré comme un chef d’œuvre cinématographique, ce film réalisé par Barry Jenkins sur le scénario d’un dramaturge noir gay, Tarell Alvin McCraney, a diffusé une profonde émotion dans toutes les salles obscures et permis le début d’une conversation sociétale sur l’expérience d’être gay face aux représentations attendues de l’homme noir dans sa communauté et dans le reste de la société.
Cette thématique portée par une grande justesse dans le scénario et la performance des acteurs se verra récompensée contre toute attente des plus grandes récompenses de l’industrie hollywoodienne comme celle du meilleur film aux Golden Globes. Quelques semaines plus tard, immense coup de théâtre aux Oscars où la grosse machine La La Land est promise d’une soirée triomphale avec en point d’orgue l’Oscar du meilleur film qui lui sera attribué à tort durant quelques secondes. En effet, suite à un retournement de situation dont seul Hollywood peut nous offrir, c’est l’équipe de Moonlight qui est appelé à venir célébrer sa victoire avec stupéfaction. Cette victoire historique ne fut pas que celle d’un film mais de toute la communauté LGBTQ+ noire à travers le monde. 2017 commençait alors avec un pas en avant dans nos luttes, qui passent aussi par ce que le cinéma peut offrir en terme d’influence sur toute une société.
« Je vous vois tous, chacun de vous. C'est ce qui nous rend différents, ce sont nos supers-pouvoirs. »
D’ailleurs lors de cette année des grandes révélations de personnalités appartenant à notre communauté furent révélé.e.s par la force de leurs talents dans le monde du cinéma et du petit écran.
La productrice et scénariste Lena Whaite a rayonné notre année avec sa récompense aux Emmy Awards du meilleur scénario pour une série télévisée comique avec Master of None.
Plus que sa victoire, c’est son brillant discours que nous retiendrons où elle disait à sa famille LGBTQ+, "Je vous vois tous, chacun de vous. C'est ce qui nous rend différents, ce sont nos supers-pouvoirs. Tous les jours, lorsque vous partez de chez vous, mettez votre cape imaginaire et partez conquérir le monde… parce que le monde ne serait pas aussi beau si nous n'étions pas dedans." À noter qu’elle fut récompensée pour un épisode co-écrit avec Aziz Ansari, un Américain gay d’origine Indienne. Belle promotion de la diversité dans ces sphères très hétéro-normées et blanches. Ce fut une autre victoire, pour encore plus d’ «empowerment ».
En 2017 nous ne pouvions pas rater dans le paysage parisien, les affiches d’une famille d’un couple gay noir d’Atlanta et leurs 4 enfants en tant qu’égéries de la marque de prêt à porter Acné Studio.
Kordale et Kaleb, les désormais papas gays les plus connus du monde, pourraient tout bonnement être désignés parmi les personnalités marquantes de cette année.
Leur adorable famille représente aujourd’hui une source d’inspiration déterminante pour toute une communauté qui s’est toujours vue refusée socialement la possibilité de faire famille pour des raisons qui n’appartiennent plus à ce monde moderne dans lequel nous vivons. Comme le film Moonlight, Kordale et Kaleb, que nous avons rencontré cet été à Paris avec leurs enfants, ont aussi permis une conversation à ce sujet au sein de la société bien qu’ils aient essuyé inévitablement des attaques racistes, homophobes, sexistes. Ils furent également accusés d’être des pédophiles par une grande partie des brigades homophobes et fascistes des réseaux sociaux. Ces deux pères noirs gays sont notre coup de cœur de 2017.
En plus du monde du « show business » ou des arts, avec la belle année de personnalités comme Todrick Hall, Lee Daniels, Olivier Rousteing, Edward Enninful, Frank Ocean, le multi-facette Kiddy Smile, les chanteuse Syd et Lycinais Jean, les rappeuses Princess Nokia et Young M.A, l’humoriste Viviane Émigré, l’impressionnante photographe Zanele Muholi ou les actrices Amiyah Scott, Laverne Cox, l’artiste brésilien Liniker et bien d’autres, cette année a connu son bouillant lot de moments créés par des activistes dont l’ « empowerment » est l’une des finalités. Parmi ces moments, si l’on devait retenir qu’un, alors c’est Munroe Bergdorf qui retient l’attention. Plus que jamais, 2017 restera comme l’année où cette femme transgenre activiste Britannique aura utilisé sa voix pour être le porte-voix de toute une communauté. Aussi Dj et mannequin, l’activiste était choisie par L’Oréal pour être l’égérie d’une campagne de pub avant d’être virée avec fracas dans la foulée suite à ses déclarations dans les médias où elle dénonçait le racisme et le « white privilege » systémique et diffusé par des marques comme L’Oréal.
Alors que ce géant des produits capillaires et cosmétiques montrait un signe de progrès en investissant dans la diversité avec surtout une femme trans, la marque donne l’occasion à Munroe Bergdorf de créer une véritable plateforme dont les médias s’empareront.
Sa voix fait profondément résonnance dans ce monde 2017 de l’ère Trump où racisme, xénophobie, sexisme, LGBTphobie avec notamment les mesures anti-trans dans l’armée américaine sans oublier l’islamphobie font rage dans certaines sociétés occidentales.
Nous avons, hélas, connu en cette année des moments qui nous rendent toujours impuissant.e.s car trop barbares, pleins de lâcheté, dépourvus d’humanité, cruels d’injustice, trop meurtriers, trop de vies volées, trop, trop et sans cesse trop. Trop souvent, trop partout les #stopkillingblacktranswomen, #blackandbrowntranslivesmatter, et autres ont fleuri sur les réseaux sociaux en réaction aux assassinats de personnes transgenres noires à travers le monde avec comme scène principale, les États-Unis et toutes ses violences policières sans oublier ce qui est appelé le « hate crime » envers les trans où on compte près de 40 cas de meurtres à cause de ces fléaux. Sur une autre échelle, c’est la Jamaïque qui connait un fort taux d’assassinat des personnes trans bien malgré la brave résistance menée par celles qu’on nomme les « Gully Queens ». Ce sujet est en train de s’imposer comme l’un des sujets majeurs au sein de la communauté LGBTQ+ qui a souvent été accusé de marginalisation par les personnes transgenres à fortiori celles qui sont racisé.e.s.
Preston, l’activiste trans et rédactrice en chef du magazine Wear Your Voice a dénoncé l’hypocrisie d’une des désormais plus célèbres femmes trans, Caitlyn Jenner.
En effet, elle se veut être une voix pour sa famille transgenre mais en même temps un soutien assumé du Président #45. Jenner a défrayé la chronique en portant un chapeau « Make (White) America Great Again » quelques jours après qu’il ait annoncé son « military ban » pour les personnes trans.
Ces moments sombres sont tout de même atténués par un brin d’optimisme sur la scène politique Américaine avec des résultats historiques pour 7 personnes transgenres lors des dernières élections de réprésentant.e.s dans certaines villes comme Minneapolis qui a vu élire une femme trans noire Andrea Jenkins avec 73% de voix.
La même nuit elle est rejointe par une autre victoire retentissante, celle de Danica Roem qui a renversé Robert G. Marshall, l’un des républicains le plus farouchement hostile à la communauté LGBTQ+ s’autoproclamant même « chef homophobe ». Ces moments resteront comme ultra-salvateurs pour la communauté, en attendant la même émulation dans le contexte français.
Cette année 2017 eut été impossible encore une fois sans lieux « safe » où la communauté peut se retrouver pour se célébrer et s’enjailler et justement cette année, la légendaire soirée BBB par la légende Fouad Zeraoui, a soufflé ses 20 bougies. Elle l’a fait avec une allure toujours éclatante, dynamique, moderne tant définitivement ancrée dans son époque malgré les challenges que d’autres concurrent.e.s voulaient lui imposer, en vain.
Vingt ans que cette soirée appelée « La Messe » du dimanche est LE rendez-vous pour les personnes LGBTQ+ « Blacks, Blancs, Beurs ». 20 ans qu’elle a occupé différentes adresses dont les plus emblématiques resteront les Folies Pigalles et la Loco bien qu’aujourd’hui elle prend définitivement ses quartiers au Gibus.
Deux décennies où elle a cartonné quel que soit sa formule, c’est-à-dire en « tea dance » ou en nocturne jusqu’à l’aube le lundi. D’aucuns seraient d’accords Français.e.s ou touristes à dire que BBB est la soirée la plus importante du week end pour tout un pan de la communauté LGBTQ+. La communauté Ballroom parisienne y trouve son refuge également. D’ailleurs la Paris Ballroom Scene a été un acteur incontournable tout au long de cette année avec des rendez-vous de plus en plus remarquables. Kiki function ou Ball, la scène a encore démontré toute sa vitalité et son apport essentiel aux jeunes homos noires, arabes et même blancs avec toujours cette idée d’ « empowerment ».
Pour ce millésime, nous retiendrons le splendide dernier week-end d’octobre avec en point d’orgue le plus gros Ball de l’année, The United States of Africa Ball par Father Charly Ebony et Father Vini Revlon.
Cette année qui se clôture fut pleine d’émotion, pleine de légèreté à certains égards mais hélas l’inquiétude et l’incertitude ne nous ont pas lâché dans ce monde mis en péril par le trumpisme scélérat à souhait, par des groupuscules toujours aussi bien organisés en France et ailleurs avec leurs rhétoriques LGBTphobes comme La Manif Pour Tous. On rappelle l’important défi des demandes d’asiles de plus en plus croissantes pour les personnes LGBTQ+ qui fuient leurs pays hostiles à leurs identités sexuelles ou de genres, notamment les pays africains, hélas. Pour 2018, il est déjà temps de faire un souhait pour plus d’humanité, plus de justice, plus de célébration, plus d’ «empowerment», toujours et encore sans jamais baisser la garde.